Aujourd'hui j'ai pleuré en cours. Bon, ok, de façon générale j'ai les yeux qui piquent assez facilement, mais quand même pas à la fac, je sais me tenir. Je sais pas vraiment ce qu'il s'est passé, c'était en atelier d'écriture, prise de remords car j'avais déjà raté les deux premières séances du semestre je me suis dit que j'allais lire mon texte. Drôle d'idée pour une timide de mon genre. Pour une fois la consigne ne m'avait pas trop bloqué, j'avais réussi à gribouiller quelques lignes en assez peu de temps, les images m'étaient venues en tête successivement, et les mots s'étaient enquillés sans trop de difficultés.
Pourtant quand j'ai commencé la lecture du troisième paragraphe, j'ai senti mon ventre se contracter, mon regard devenir trouble, ma voix fébrile et hésitante. Mes mots résonnaient comme ceux de quelqu'un d'autre, je m'écoutais parler et je comprenais enfin le sens de ses mots assemblés les uns aux autres. Je me voyais dans chacune des images que j'énonçais et pendant ce temps là j'étais en apnée. Je me suis arrêtée deux fois me retrouvant à la limite du laisser aller et du courage, j'ai choisi la deuxième option, et j'étais plutôt contente de moi en voyant arriver le point final de mon texte.
Durant l'écriture je n'étais pas vraiment triste, j'essayais de me rappeler des bons moments, après la lecture je me suis sentie torturée, et gênée comme si cela m'était interdit de vivre des choses qui ne font pas que sourire à moi aussi. Lire un moment de ma vie, un moment qui a forgé le bout de fille que je suis devenue devant des inconnus, mais aussi des amis, donner à voir "en direct" qui je suis. Je ne pensais pas réagir comme ça, je me suis surprise, comme quoi on ne se connait jamais vraiment. Je n'étais pas au théâtre, je ne jouais pas la comédie et chacun de mes mots étaient criant de vérité. Je crois que c'est ça la véritable émotion, celle qui vous torture le ventre et vous sort complètement de votre quotidien.
"Ecrire à une personne de votre choix, rencontré entre 13 et 17 ans, en commençant par "je me souviens de toi" en rédigeant des paragraphes d'instantanés"
Je me souviens de toi marchant droit au bord de la route en zigzag, les palmes sur le dos, en chef de file avec Polo celui qui avait les cheveux un peu bleu à cause du savon de Marseille. Anaïs et moi on était dingues de vous, on vous aurait suivi au bout du monde en toute insouciance. L'aventure était là quand tu nous menaçais en riant avec ton harpon presque aussi grand que nous. On était profondément contre, on venait juste pour faire fuir les bébés poulpes en faisant des bulles dans nos tubas, et puis pour vous regarder sortir de l'eau, l'oeil vif et le torse nu.
Je me souviens de toi le soir sur la plage, alors que les autres mangeaient des hot-dogs au bord du feu. Toi, tu étais assis là haut, sur les rochers près du bois qui dominaient la plage, le regard perdu face à l'horizon. Je t'ai rejoint, je me souviens nettement du bruit des vagues qui claquaient contre les rochers, de la lueur des milles étoiles et de l'odeur du join coincé au coin de tes lèvres. Je me souviens du frisson qui me glaçait le dos quand tu me parlais d'elle et que tu t'étouffais avec la fumée. J'avais mal pour toi. Je me souviens de toi presque comme si c'était hier, je ne sais plus exactement ce que tu m'as dit ce soir là mais je sais que c'était sans aucun doute la première fois que je me sentais adulte.
Je me souviens l'été suivant quand Tristan m'a annoncé qu'elle t'avait quitté et que la maladie t'avait emporté. Je me souviens que devant ton petit frère j'ai retenu mes larmes. J'ai attendu la nuit pour retourner sur notre rocher et en vouloir à la terre entière. Je me souviens de toi parce que tu m'as touché, pour de vrai. Je me souviens de la chemise en lin, du parfum qui portait le même nom que toi, des jambes rasées pour le Paris-Marseille à vélo des Virades de l'Espoir. Je me souviens que tu étais fort, sensible et fort. Je me souviens de toi parce que c'était la première fois que je rencontrais quelqu'un qui avait un regard différent.
Hugo, 19 ans, les Issambres (83) été 2000.
... je suis ému. Le texte que tu as écris est magnifique, sobre, nostalgique, sans regret car ces moments étaient magiques, mais avec toute la tristesse de perdre quelqu'un. Je comprend pourquoi tu n'as pu retenir tes larmes en le lisant à haute voix, car c'est à la fois partager ce moment mais aussi le revivre.
Puis je te demander qui était ce Hugo, et quelle était sa maladie?
Encore une fois, bravo pour le texte.
PS = j'adore les Issambres!
Rédigé par : Roman | 06 février 2008 à 04:13
Merci, s'il est là c'est que je pense qu'il est montrable et que chacun peut y reconnaitre un moment de vie, un sentiment universel.
Hugo avait 19 ans alors que j'en avais 15, c'était le grand frère de Tristan un de mes meilleurs "copains de la mer" (et accessoirement premier petit-ami), on était une bonne bande de jeunes gamins qui se retrouvaient chaque année (de mes 11 à 18 ans). Après ça, leur parents ont vendu leur appartement, je n'ai jamais revu Tristan et ça n'a plus plus été pareil.
Hugo avait la mucoviscidose, et se battait depuis des années au sein de l'association "les virades de l'espoir".
Rédigé par : jen | 06 février 2008 à 04:30
Cette plume, ces sentiments que tu fais passé dans tes textes, ces larmes qui coulent apres lecture.
Rédigé par : Fabian | 06 février 2008 à 10:00
Quand je t'ai dit que l'école c'était bien, je ne pensais pas à cela. Je pensais au présent, aux amis que l'on cotoi. Mais là, tu viens de me faire découvrir que parfois, on peut repenser au passer.
Je le fais jamais. Et pourtant je devrais.
Merci pour ce texte et ce courage, Jen.
Rédigé par : Stephane | 06 février 2008 à 12:03
C'est vraiment trés beau Jen....
Je t'embrasse.
Rédigé par : Sam | 07 février 2008 à 23:36
des souvenirs extremement personnels, innocents, proches, ensoleillés. C est assez "fort" a lire.
Rédigé par : Pierre | 08 février 2008 à 13:34
Je ne sais que dire , ou comment avoir les mots justes. C'est en tout cas très bien écrit, très beau, très sensible
Rédigé par : Gonzague | 28 mars 2008 à 02:25
je vais d'article en article sur ce blog et je le trouve vraiment magnifique.
Cette article ainsi que ce que tu avais écris en mémoire de ton ami est vraiment très émouvant, superbement écrit, j'en reste bouche B tellement les émotions sont magnifiquement bien retranscrites!!!
Rédigé par : audrey | 24 avril 2008 à 20:05